Devilman Crybaby

Le meilleur dessin animé de la décennie

Introduction

La réinterprétation du mythique manga de Go Nagai, 45 ans plus tard par Netflix, avait de quoi inquiéter. S’attaquer à un tel monument de la culture japonaise, tout en voulant réactualiser le propos, n’était pas tâche aisée.

Mais l’incroyable combinaison de talents déployés ont rendu cela possible, Devilman Crybaby est une réussite magistrale, à hisser parmi les meilleurs dessins animés du siècle.

Les scénaristes, musiciens, animateurs et le réalisateur Masaaki Yuasa ont fait preuve d’un travail remarquable sur ces 10 épisodes d’une vingtaine de minutes, regardons cela ensemble.

Artistiquement, ça claque

Le parti pris visuel de la série pourra, je pense, en rebuter plus d’un au premier abord. Mais ce sentiment se fait vite oublier dès le deuxième épisode où on se contente de profiter de la qualité des animations et de la beauté de la composition visuelle.

Ce qui frappe le plus en termes d’animation, c’est la fluidité des mouvements des personnages, engendrant par moments quelques déformations, mais cela reste toujours esthétique et signifiant. En effet, si les corps se déforment, si les expressions des personnages semblent parfois exagérées, tout cela est voulu et porteur de sens.

Prenons l’exemple de notre héros, Akira, Devilman (mi-homme, mi-démon) de son état. Lorsqu’il fait usage de ses capacités humaines, son corps est parfaitement animé et ses mouvements sont clairs. Par contre, quand il déchaîne ses capacités de démons, ses mouvements déforment les contours, ses gestes sont étranges (on se souvient tous de cette fameuse manière de courir), comme s’il ne nous était pas tout à fait possible, à nous humain devant notre écran, de comprendre ce qu’il se passe.

Donc si le dessin et l’animation vous rebute, je vous en conjure, accrochez-vous un petit peu, ça vaut le coup !


Parlons un peu musique maintenant. Encore une fois, au premier abord, c’est original. Le générique d’intro est, disons, spécial. Mais ici aussi, ne vous arrêtez pas à cela. La bande originale accompagnant l’action étant tout simplement parfaite.

Entre les tracks d'électro sur les scènes d'action et les musiques symphoniques dans les moments contemplatifs ou émotionnels, tous les morceaux sont excellents.

Deux mentions spéciales. Tout d’abord les raps de la bande de jeunes qui reviennent à plusieurs reprises dans la série, tous entraînant, bien écrit et, ô miracle, bien traduit dans les sous titres ! Enfin, le morceau Crybaby, qui aidera grandement à vous arracher plus d’une larme.


Une œuvre engagée ...

Bon, à partir de maintenant des spoils mineurs sur des éléments d’intrigues sont possibles. Donc, allez voir Devilman Crybaby, légalement ou non, c’est une série indispensable, prodigieuse. Ensuite revenez lire la suite de cette analyse.

Si vous lisez ces lignes sans avoir vu la série, tant pis pour vous et gare aux spoilers ! Devilman Crybaby aborde, en une dizaine d’épisodes à peine, nombre de sujets intéressants et actuels. Tout d’abord, les réseaux sociaux.

A de nombreuses reprises les protagonistes vont utiliser les réseaux sociaux, à différentes fins, mais j’ai particulièrement en tête ce qui est fait vers le final de la saison, dans l’épisode 9 si je ne m’abuse.

A ce moment, la série a l’intelligence de montrer les deux facettes des réseaux sociaux : la violence portée par une foule d’anonymes, mais aussi la libération de la parole rendue possible également par cet anonymat.


La série traite aussi le sujet de la différence et de l’acceptation. Encore une fois, les deux facettes sont abordées. D’une part, l’exclusion, au travers des Devilman, rejetés à la fois par les humains et par les démons. D’autre part, les avantages de la différence, au travers du personnage féminin principal, Miki, qui a profité malgré elle de ce qui la rendait unique : un père occidental, faisant d’elle une métisse, suscitant la curiosité.

Cela lui permettra de devenir très populaire dans son lycée ainsi qu’une idole au Japon, aidée par ses étonnantes prouesses physiques. Ce que nous montre Devilman Crybaby, c’est que la différence peut être autant source de peur et de rejet, que de curiosité et d’admiration.


Enfin, il est impossible de parler de la série sans évoquer l’importance du sexe dans cette dernière. Entre les jeunes lycéens tous obsédés par cette question et les démons qui ne pensent qu’à ça, presque tous les personnages de l'œuvre sont concernés par la sexualité.

Par exemple, on peut parler du photographe au début de la série qui souhaite prendre des photos de l'héroïne en maillot (qui n’est pas majeure, bien sûr). Ce photographe et son patron iront jusqu’à user de sales subterfuges pour obtenir des photos dénudées de la jeune fille.

Là où c’est percutant, c’est que tout cela fait écho aux problèmes de sexualité du Japon, où la sexualisation de jeunes filles, appelées “Idols”, n’est pas chose rare.

Ceci existe pour pallier une terrible frustration sexuelle qui sévit sur les jeunes japonais depuis un moment maintenant. Frustration sexuelle aussi évoquée dans la série via les camarades de lycée de nos héros, qui ne parlent que de cul.
En un mot, la série aborde avec beaucoup de justesse la détresse sexuelle de la jeune génération japonaise, et les excès qu’elle engendre.

La série aborde de nombreux autres thèmes il est vrai. Mais ce que j’ai essayé de montrer avec les quelques exemples ci- dessus, c’est que ses sujets sont toujours traités avec une grande justesse et sans manichéisme.

Maintenant, nous allons aborder le thème profond de la série, l’humanité et sa chute inexorable.


… profonde et pessimiste

Bon, rentrons dans le dur. Devilman Crybaby est une œuvre dure, sombre et désespérée. Ce que nous raconte la série sur l’humanité est terrible. Bon attention ce que je vais exposer n’est que mon interprétation de la chose, et ma conclusion est en grande partie basée sur la fin de la série.

Je pense que Devilman Crybaby expose les différentes facettes de l’humanité via les trois types d’entités présentées. Ainsi, les démons représentent nos pulsions primaires : le sexe, la violence et la bouffe.
Les humains eux, ne sont plus que la part sociale de l’humanité, incluant la jalousie, la colère, la peur, le rejet, la confiance en soi ou encore la sociabilité.
Enfin, les Devilman ont juste ce qu’il faut en eux d’humain et de démon pour avoir un bon équilibre.

En effet, les démons, se laissant guider par leurs pulsions primaires, en viennent à tuer des humains, ils veulent les exterminer, pour pouvoir s’adonner sans limite et restrictions à l'accomplissement de leur plus bas instincts.

De l’autre côté, les humains, à force de trop se fondre dans une société, ont perdu leur coeur, leur empathie. C’est ce point qui mènera d’ailleurs l’humanité à sa perte, quand face à un ennemi infiltré elle choisira la méfiance et la violence à la tolérance et la bienveillance.

C’est aussi pour cela qu’avoir un héros pleurnichard est aussi important. Akira ne pleure jamais pour lui, il pleure toujours pour les autres, et c’est pour cela qu’il sera traité de pleurnichard, car il est le seul capable d’empathie. Pour les auteurs de la série, ce n’est pas tant l’humain que l’humanité qui est nuisible.

En effet, ce ne sont pas individuellement que les antagonistes sont mauvais, ils sont souvent mû par la volonté d’une société. Par exemple, le photographe volant des clichés de l'héroïne dénudée, le fait sous l’influence des diktats de la société.

Dans une scène bouleversante, alors que le Devilman se dresse seul pour protéger les lapidés, accusés d'être des Devimen, de leurs bourreaux humains, ce sont des enfants qui vont venir l’enlacer et ainsi calmer la situation. Ils ont encore leur innocence, leur empathie, ils n’ont pas encore été corrompus.

Si au début de l’histoire ce sont les démons qui sont présentés comme les antagonistes, ce ne sont pas eux qui finiront par commettre les pires atrocités, ce sont les humains.


Mais cela ne s’arrête pas là, Devilman Crybaby ne fait pas que montrer à quel point l’humanité est mauvaise. La série montre aussi qu’il n’y a aucun espoir que cela aille mieux.

Au début de la série, on assiste à la destruction d’une planète ressemblant fort à la Terre, avant de voir l’émergence d’une nouvelle planète. Les débris de l’ancienne planète servant de lune la nouvelle. Si tout au long de la série, on ne comprendra pas ces images, elles prennent tout leur sens dans les dernières minutes.

En effet, alors que Ryo, le meilleur ami de notre protagoniste, est devenu Satan et vient de tuer Akira, Dieu intervient afin de détruire la Terre, faisant d’elle une seconde lune pour une nouvelle Terre. Ce que veut nous dire la série à travers cette image, c’est qu’il y a eu un précédent.

L’humanité a déjà échoué une fois. Ce sentiment d’échec inéluctable est appuyé par la présence dans Devilman Crybaby d’images de l’ancienne série Devilman. Ainsi, la présence de la série originelle renverrait à la première Terre, détruite au début de la série, ou Devilman et l’humanité ont aussi échoué.

Cette conclusion est d’une noirceur sans nom. La série ne se contente pas de montrer que l’humanité est mauvaise, elle entend aussi qu’on ne peut rien y faire, que c’est inéluctable. On peut même associer à la présence de la série Devilman originelle un message plus méta.

En effet, dans Devilman Crybaby les héros échouent malgré la présence dans leur culture de Devilman, comme nous, spectateurs, humanité, échouerons malgré les avertissements de la série et de la culture en générale.

Ce que l'œuvre nous raconte finalement, c’est l’échec de l’humanité malgré les nombreux avertissements que nous créons nous mêmes. Malgré toutes les œuvres de science fiction critiquant les différents futurs possibles, nous nous dirigeons tout de même vers eux.

1984, Fahrenheit 451, La Ferme des Animaux ou Devilman, toutes ces œuvres ont échoué.


Conclusion

Vous l'aurez peut être compris, je considère Devilman Crybaby comme une oeuvre majeure. Techniquement c’est brillant, émotionnellement c’est un choc terrible, et le message est délivré avec tant d’intelligence. Tout est réussi dans cette série.

La dernière fois qu’une œuvre m’a laissé un tel sentiment, il s’agissait de Silent Hill 2, un jeu vidéo d’une violence émotionnelle terrible, qui m’avait tant retourné la première fois que j’y ai joué, que je ne pus le finir.

Regardez ou revoyez Devilman Crybaby, c’est une expérience qui vaut le détour.

“Que les mortels aillent au diable.“