Gris, l’universel

La meilleure expérience pour commencer le jeu vidéo

Introduction

Gris est un jeu indépendant développé par Nomada Studio et sorti en décembre 2018. Si je décide de lui accorder le premier article de ce site, c’est que je pense qu’il peut être une claque artistique et ludique pour n’importe qui, du fin connaisseur au néophyte.

Gris offre une expérience qui est sûrement une des meilleures portes d’entrée dans le monde du jeu vidéo.



La claque artistique

La première chose qui frappe le joueur au lancement du jeu, et j’entends par là que ça laisse une empreinte indélébile au fond de la rétine dans les trente premières secondes, c’est la direction artistique. Nom de dieu, que c’est beau ! Il faut savoir qu’à l’origine du projet se trouve Conrad Roset, peintre et illustrateur barcelonais de grand talent, qui déploie ici en image animée tout son génie pour l’aquarelle. La protagoniste est superbe, les décors décollent la rétine, les animations sont finement réalisées, dignes des meilleurs studios de dessins animés. Chaque instant du jeu est un tableau duquel se dégage une profonde poésie.

La musique n’est pas en reste. Elle a été composée par le groupe barcelonais Berlinist. Chaque morceau est réussi et colle toujours à l’ambiance. Mention spéciale pour les pistes Gris Part 1 et 2 ainsi que Unagi, qui en plus d'accompagner dans le jeu des moments incroyables, me donnent toujours des frissons à chaque écoute.

En un mot le jeu est une immense claque artistique, une des plus belles œuvres qui m’ait été donné de voir, qui a dû demander un travail dingue à l’équipe de Nomada Studio.



Un sentiment universel

Gris n’est pas très généreux en dialogue. A vrai dire le jeu n’en contient aucun, et comment le pourrait-il puisqu’il n’y a qu’un seul personnage : la femme que le joueur contrôle. La première scène du jeu décrit la chute du monde de notre protagoniste, que l’on va devoir reconstruire métaphoriquement tout au long du jeu, en récupérant différentes couleurs afin de redonner vie aux environnements.

Le jeu commence donc en nuances de gris, à l’exception de la chevelure bleue de notre personnage. Puis viendront s’ajouter aux décors et éléments de premier plan les couleurs Rouge, Verte, Bleu et Jaune. A chacune de ces couleurs correspond une zone, possédant une architecture, des règles, et un design inédit. Aussi, chacune des zones donne accès à un pouvoir, qu’il faudra comprendre et maîtriser afin de passer à la couleur suivante.

C’est avec cette boucle de gameplay que Gris nous parle du deuil et de la manière de l’accepter. En commençant dans un monde vide, dénué de couleur, où le personnage que l’on joue est impuissant, Nomada Studio nous place dans la position de quelqu’un qui aurait sombré dans un deuil profond suite à une perte violente. Nous sommes littéralement dépossédés au début du jeu, comme après la perte d’un être cher. Nous allons ensuite regagner des pouvoirs et des couleurs, pour finalement revenir à un monde splendide où le deuil est enfin accepté.

Gris n’a pas de scénario à proprement parler. Il possède une mise en scène purement vidéoludique, une narration par les décors, qui nous raconte finalement quelque chose de simple, mais de bien belle manière. Quand à savoir quel est l’évènement déclencheur du deuil pour la protagoniste, je vous invite à vous faire vos interprétations en vous attardant sur les décors et ennemis du jeu, tous remplis de symboliques. Le jeu arrive donc, simplement en utilisant pertinemment les codes, outils et techniques de son médium, à nous raconter une histoire, sans texte ni dialogue.


Ce que le jeu nous raconte est universel et tous les joueurs pourront comprendre le message du titre de Nomada Studio. Quant aux symboles et métaphores placés un peu partout dans le jeu, ils sont laissés libre d’interprétation.


Gameplay simple et efficace

Le gameplay de Gris est une petite merveille d’une élégante simplicité. Le jeu n’est jamais difficile, il est même totalement impossible de perdre. Dans le pire des cas on pourra rester bloqué devant une des nombreuses énigmes du jeu, mais pas d’inquiétude, elles ne sont pas d’une difficulté incroyable. Elles sont nombreuses, bien pensées et les utilisations des différents pouvoirs que l’on va récolter sont très ludiques.

En fait, le jeu ne vous demandera jamais d’être bon aux jeux vidéo. Vous n’avez aucune phase de jeu où des réflexes seront demandés, où il faudra accomplir une action complexe avec la manette ou encore où vous serez limités par le temps. En un mot, tout le monde peut jouer à Gris, de 7 à 77 ans.

Son accessibilité est sûrement une des plus grandes qualités du titre. Un joueur expérimenté pourra trouver son bonheur, tout comme un parfait néophyte. C’est ce qui différencie Gris de cet autre incroyable jeu qu’est Ori and the Blind Forest. En effet, ce dernier possède beaucoup de similarité avec Gris : une direction artistique incroyable, des émotions fortes, un excellent gameplay … Cependant, cet excellent gameplay est aussi très exigeant, ce qui fait d’Ori un jeu réservé aux joueurs aguerris. Effectivement, le jeu vidéo est un art performatif, qui attendra bien souvent de vous que vous soyez bon, que vous vous entrainiez. Mais Gris n’est pas comme ça, la performance est quasi absente du titre, n’importe qui peut y jouer et le terminer..

Ce sont celles-là les œuvres les plus fascinantes à mon avis, celles qui, tout en démontrant des compétences et connaissances très poussées dans leur art, peuvent être aimées, comprises, et dans l’art qui nous intéresse, terminées, par le profane.


Conclusion

Gris est, à mon sens, une des meilleures portes d’entrée vers le jeu vidéo. Loin de l’image débilitante de cet art qui nous parvient via les publicités et médias dominants, il peut être apprécié par tout le monde, ne serait-ce que pour sa beauté formelle.

Il est simple de convaincre quelqu’un de jouer à Gris simplement en lui montrant des images du jeu, tant ce dernier est somptueux. Même une personne n’ayant jamais joué à un jeu peut trouver l’envie de le lancer, puis de le finir. Ce jeu est universel, et il me donne de l’espoir.

L’espoir qu’un jour, peut-être, le monde comprenne que n’importe qui peut aimer les jeux vidéo tant ceux-ci sont divers. Dire “Je n’aime pas les jeux vidéo” n’a aucun sens, on ne peut pas détesté un art, il y aura toujours des œuvres qui peuvent nous toucher dans toutes les formes artistiques. Le jeu vidéo n’échappe pas à cette règle.

Ce que j’ai essayé d’exprimer dans cet article est, évidemment, ma profonde admiration pour ce jeu que j’adore, mais aussi l’idée que le jeu vidéo n’est pas forcément un divertissement intellectuellement bas de gamme. Comme au cinéma, en littérature, en musique, il existe des œuvres sans grande prétention artistique, ne servant qu’à divertir (et c’est déjà pas mal), mais aussi des œuvres profondes, recherchées, travaillées dans les moindres détails, et qui, pourtant, peuvent toucher n’importe qui. Gris est universel, le jeu vidéo aussi.